This mess we're in
photo : Ralph Gibson
Jamais il ne m'a été plus difficile de trouver des mots. Jamais je n'ai eu autant envie de garder le silence. De devenir muette. De fermer les yeux et de rester immobile, jusqu'à avoir la sensation de devenir invisible.
Je voudrais me soustraire à toute cette agitation. Laisser la vie avancer, sans moi pour une fois.
Et pourtant. Je dois être là. Je dois agir, je dois choisir. Il est des choix qui attachent, qui lient, qui engagent. Il est des choix qui blessent, qui détruisent, qui séparent.
Il est des choix qui ne reviennent qu'à moi.
Chaque jour, je regarde les enfants et je me dis "je ne peux pas". Chaque jour, devant le miroir, je pense "fuis", je pense "sauve ta vie".
La culpabilité me ronge. La haine aussi.
Je regarde mon tout petit jouer, je l'écoute fredonner des chansons qu'il invente. Je le vois si différent de son grand frère au même âge. Et je me dis "comment ai-je pu passer à côté de tant de signes évidents?". Quelle mère ai-je donc été, quelle mère suis-je? Martin me regarde, me sourit, et j'en veux alors si fort à celle qui a prononcé les mots "Syndrome d'Asperger". J'en veux surtout à mort à celle que j'ai été, aveugle, sourde, confiante, crédule.
La vie me semble être pareille à ce bouquet de fleurs qu'il m'a offert, dérisoire, inutile, cruelle. Belle oui, mais tellement cruelle.
Ce qui nous a un moment rapprochés est en train de nous séparer. Lentement mais sûrement. Un fossé est déjà là, grand, profond. Nous entendons des mots "couple parental", "couple conjugal", difficultés, solitude, consessions, séparation. Quelle direction prendre quand tout le monde est perdu? Comment se retrouver quand on se tourne le dos?
Nous nous sommes aimés pourtant. Alors comment en sommes nous arrivés là? La douleur isole t-elle, sépare t-elle à ce point? Ou bien avons nous changé au point de ne plus nous reconnaître?
Ce maëlstrom dans lequel nous sommes pris aura-t-il notre peau, aura-t-il notre vie?
Ne serons nous désormais que douleur?
Je n'en peux plus de ce froid glaçant. Je n'en peux plus de toute cette pluie qui pénètre mes vêtements, applatit mes cheveux, coule sur mes joues. Pourrais-je à nouveau apprécier la chaleur? Ai-je irrémédiablement changé? Qui suis-je? Qui serai-je quand la pluie aura cessé? Aurai-je la force pour continuer?
Ou bien ce maelstrom m'emportera-t-il si loin de moi-même que je ne me retrouverai plus?
Et toi, où est tu? Qui est tu? Je ne te reconnais plus. Peut être suis-je trop loin désormais. Peut être le maëlstrom m'a-t-il déjà emportée?
Ma main te lâche, la tienne ne me retiens pas...